«[Les frontières] sont en fait assez fragiles. Elles n’existent qu’à travers l'idée que nous ne savons pas nous connecter à nous-mêmes et aux autres »
De Karina Cheah
04/05/2020
En 2018, Sezan Eyrich passe un semestre à Varsovie pour étudier les sciences politiques. Elle s’intéresse alors aux possibilités de discuter de questions politiques dans un espace bienveillant. C’est alors qu'un ami lui parle du Programme des jeunes ambassadeurs et ambassadrices (YAP) dans le cadre de la conférence Des outils pour les acteurs et actrices du changement. Sezan décide de s’inscrire, bien déterminée à trouver à Caux un moyen d'aborder des questions sensibles d’une perspective aussi bien personnelle que globale. Les thématiques féministes lui tenaient particulièrement à cœur, mais elle trouvait qu'il était difficile de les aborder : « J'avais l'impression d'être une cible et j'avais du mal à ne pas devenir émotive. »
À Caux, Sezan est séduite par l'approche d’I&C qui consiste à partager des histoires, à pratiquer une écoute empathique, et à réfléchir sur soi-même. Elle trouve au YAP les outils nécessaires pour gérer ses émotions, s'engager avec d'autres femmes, rester empathique face à des opinions différentes et créer des plateformes d'échange de points de vue. « On nous apprend souvent à mettre nos émotions de côté, mais la réflexion sur soi-même aide à comprendre que faire la part belle aux émotions et au bien-être émotionnel est en fait très rationnel. Tout cela façonne notre récit personnel et nous fait réaliser à quel point nous nous inscrivons toutes et tous dans des schémas de fonctionnement, » explique t-elle avant de poursuivre : « le seul moyen de changer les choses est de comprendre comment nous nous intégrons dans ces schémas, d’avoir conscience du changement dont nous voulons être témoin mais aussi acteur et actrice ! … grâce aux outils dont nous disposons. »
À son retour de Caux, Sezan met en place dans son université autrichienne un programme destiné aux femmes, Platform V. Elle constate la richesse et la pertinence des discussions qui s'y déroulent autour du sexisme au quotidien. Avec le temps, le programme passe d'un espace d'écoute respectueuse et de partage d'expériences personnelles à un lieu de formation sur les manières de réagir face à des structures sexistes. Platform V met au jour l'importance du changement par la connexion à l’autre et l'empathie - des outils que Sezan a acquis lors du YAP. « Nous pouvons parfois être seul-e-s avec notre douleur, mais dès que nous dépassons cet isolement et que nous commençons à parler et à trouver des moyens de nous connecter, la transformation peut s’opérer en nous-mêmes et dans la société », explique-t-elle. Sezan a entretemps terminé ses études et s’est retirée de cette initiative, mais Platform V reste très active.
En 2019, Sezan revient à Caux en tant que facilitatrice du YAP. Cette année, elle en est la coordinatrice. Mais en raison de la pandémie de COVID-19, le YAP devient cette année une plateforme en ligne permettant aux ancien-ne-s participant-e-s de discuter de différents thèmes avant de retrouver en 2021 son format classique. Au cours de ces six dernières années, Sezan Eyrich a vécu dans cinq pays ainsi qu'en Allemagne, son pays d'origine, et plus récemment en Palestine, où elle s’engageait auprès d’I&C pour faciliter le dialogue entre les parties en conflit. « Un changement est possible, pour qui commence à se réfléchir sur soi-mêm et à surmonter ces frontières qui nous sont imposées, » dit-elle avant de conclure « «[Les frontières] sont en fait assez fragiles. Elles n’existent qu’à travers l'idée que nous ne savons pas nous connecter à nous-mêmes et aux autres. »