« Si ce n'était pas mon travail, je ferais probablement la même chose »

Une interview d’Anastasia Slyvinska au Caux Refuge

01/06/2022
Marina Raffin, photo: A. Slyvinska

 

Cet article est le cinquième d'une série d'entretiens menés avec des hommes et des femmes touché-e-s par la guerre en Ukraine et qui ont trouvé un refuge temporaire au Caux Refuge.

 

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Maria Raffin est originaire de Moldavie, mais vit en Suisse depuis 17 ans. Elle a par ailleurs vécu deux années dans le village de Caux. Voisine du Caux Palace, elle s'est très vite engagée pour soutenir le projet du Caux Refuge et proposer son aide aux personnes venues y séjourner depuis le début de la guerre en Ukraine. Après avoir été bénévole, elle travaille désormais depuis avril en tant qu’agente de liaison pour le Caux Refuge, partageant le poste avec sa collègue, Ekaterina Gross.

 

Comment avez-vous entendu parler du projet du Caux Refuge et comment avez-vous rencontré les premières personnes arrivées ?

Maria : J'ai entendu parler du projet Caux Refuge par notre voisine, Amandine. Elle m'a inscrite à un groupe en ligne appelé « Solidarité » dans lequel les habitant-e-s du village ont commencé à rassembler des produits de première nécessité et à préparer la Villa Maria pour l’arrivée de ces hommes et ces femmes qui ont dû quitter leur maison à cause de la guerre en Ukraine. Alina est la première personne que j'ai rencontrée à la Villa Maria. J'étais venue avec deux sacs remplis de chocolats, de nourriture et de produits de première nécessité. Puis j'ai rencontré Tetiana. Amandine m'a dit que Tetiana était arrivée avec ses trois enfants, puis Elena et sa belle-fille Masha sont arrivées.

 

C’est donc comme bénévole que vous avez commencé à aider ?

Maria : C’est bien cela, au début ce n'était pas un travail en tant que tel. Il ne me venait même pas à l’esprit qu'aider comme je pouvais le faire pouvait être considéré comme un travail, donc ce fut une surprise totale pour moi quand on m'a proposé un poste à temps partiel. Pour moi, aider les autres dans des circonstances aussi difficiles va de soi, car personne n’est capable de dire de quoi demain sera fait. Mon mari Alessandro m'a beaucoup aidée. Il m'a soutenue dès le premier jour et a initié de nombreuses initiatives. Sans sa gentillesse et ses encouragements, il m'aurait été très difficile de me lancer dans cette aventure.

 

Marina with Ukrainians in Caux (photo: Anastasia Slyvinska)
Maria (deuxième en partant de la droite) avec des résidentes du refuge de Caux (photo : Anastasia Slyvinska)

 

Y a-t-il une motivation personnelle dans votre engagement ?

Maria : Disons que j'ai traversé dans le passé des situations où j'ai eu besoin d'aide. Seule une poignée de personnes m’a aidée à l'époque parce que les autres ne savaient pas vraiment ce qui se passait. Ma timidité m’empêchait  de demander de l’aide. Lorsque vous êtes dans un pays étranger et que vous ne connaissez personne, il n'est évidemment pas facile de demander de l'aide.  Mais lorsque quelqu'un vous aide dans un tel moment, alors vous vous sentez pousser des ailes. Vous vous sentez plus fort-e, vous gagnez en motivation et retrouvez de l’espoir, et cela n’a pas de prix. Je n'oublierai jamais ces moments où des inconnu-e-s m'ont aidée. Je pense que nous devrions tous nous aider les un-e-s les autres dans les situations difficiles.

 

Pour vous, cela relève donc du don aux autres ?

Maria : D'une certaine manière, oui... Depuis mon enfance, je n’ai pas eu une vie facile. Quand vous avez besoin d'aide et que personne n'est là, c'est difficile. Alors quand quelqu'un, ne serait-ce qu'une seule personne, est gentille avec vous et vous soutient, vous sentez que tout n'est pas toujours mauvais. Avec le temps, on se rend compte qu'on n'a pas besoin de grand chose pour se sentir bien et épanoui-e. Il est très important de s’entourer de personnes bienveillantes, d’avoir de quoi manger et un toit sur la tête. Mais le plus important est de jouir d’une bonne santé. Tout le reste peut et va s'améliorer.

 

Et qu'est-ce qui vous a le plus touchée ou impressionnée durant ces quelques mois au Caux Refuge ?

Maria : C’est de voir arriver ces personnes totalement innocentes, et qui avaient tout pour être heureux et heureux avant la guerre : une maison, une famille, la santé, un travail et tout ce dont ils et elles pouvaient avoir besoin. Du jour au lendemain, ces hommes et ces femmes ont dû tout laisser derrière eux, derrière elles abandonner tout ce qu'ils et elles aimaient et partir, sans même savoir vers quelle destination, sans même savoir s’ils et elles survivraient à leur voyage. Évidemment, c'est une situation très difficile lorsque vous ne savez pas où aller et ce qui vous attend. En plus de cela, vous avez l'impression de ne pas pouvoir avoir des exigences. Il est extrêmement de demander de l'aide. Or ces personnes ont dû demander de l’aide pour des choses vitales, comme de quoi manger ou un endroit pour dormir.

 

Marina and Katia in Caux photo Alex Raffin
Maria (à gauche) avec sa collègue officier de liaison Ekaterina Gross et les résidentes du Caux Refuge Elena,
Oksana, Liuba et Nadia (photo : Alessandro Raffin)

 

Travaillez-vous également avec des enfants et des personnes âgées au Caux Refuge ?

Maria : Oui ! La situation est déjà délicate quand les réfugié-e-s sont adultes, mais il y a aussi des enfants et des personnes âgées qui ont dû fuir et sont maintenant hébergé-e-s à la Villa Maria. Des femmes comme Anna et Liudmyla ont travaillé toute leur vie pour avoir droit à une pension et vivre en paix. Et puis elles ont dû partir, juste au moment où elles pensaient qu'il était enfin temps pour elles de faire une pause et de prendre soin d'elles... Vous imaginez ? Pour moi, c'est un crève-cœur. Mais je pense qu'elles ont de la chance d'avoir trouvé un endroit sûr ici à Caux.

 

Pour vous, quelle est la chose la plus importante dans votre travail ? Quelles sont vos principales priorités ?

Maria : C'est d'aider les autres à s'adapter à de nouvelles circonstances, tout en mettant tout en œuvre pour que ces personnes se sentent chez elles. Je ne suis pas sûre de pouvoir les aider pour tout, je ne peux pas mettre fin à cette guerre, mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Il n'y a aucun doute là-dessus.  Si ce n'était pas mon travail, je ferais probablement la même chose et prendrais autant de temps que possible pour aider ces personnes.

 

 

Marina and Katia with the Fiauxs, 2022 photo: Corinne Meyer
Avec Maya et Jean Fiaux (à gauche) et son collègue Ekaterina Gross (à droite) à Caux (photo : Corinne J.)

 

Et comment avez-vous trouvé ce travail et décidé d'en faire un choix de carrière ?

Maria : Je ne savais pas qu'un poste avait été créé. J'ai donc été surprise quand j'ai reçu une proposition d'emploi. Je l’ai immédiatement acceptée parce que j'aime apprendre de nouvelles choses chaque jour.  Tout d'abord, j'apprends à connaître ces personnes, j’apprends beaucoup de choses sur les  relations aux autres. C'est très intéressant pour moi de voir comment fonctionne I&C pour venir en aide aux personnes dans le besoin.  Tout cela a un sens pour moi.

 

Quels ont été les moments les plus forts et les plus beaux pour vous depuis le début de votre engagement au Caux Refuge ?

Maria : Il est très difficile d’en choisir un ou deux. Quand je pense à mon expérience à la Villa Maria, je considère que chaque moment et chaque conversation ont été importants. Chaque moment ici est beau à mes yeux, à commencer par le tout début et notre premier dîner dans la maison familiale, la célébration de Pâques... En ce moment, nous avons comme projet de faire un barbecue. Il y a encore beaucoup de moments à venir et j'ai hâte de les vivre avec les résident-e-s. Je suis donc très reconnaissante à Amandine, à mes voisin-e-s bénévoles à Caux et à I&C qui ontrendu ce projet possible.

 

 

A propos de l'auteure

 
Anastasia Slyvinska

Anastasia Slyvinska est une journaliste de Kiev, en Ukraine. Elle a travaillé en tant qu'animatrice de télévision, reporter à l'étranger et directrice d'organes de presse en Ukraine et à l'étranger. Ayant travaillé au sein des parlements ukrainien et canadien, elle combine son expertise dans le domaine des médias avec sa formation en sciences politiques, puisqu'elle est titulaire d'une maîtrise en sciences politiques. Anastasia fait partie de la communauté I&C depuis 2014, année où elle a participé pour la première fois à la conférence La gouvernance équitable pour la sécurité humaine. Elle séjourne actuellement à Lausanne, Suisse.

 

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VOUS POUVEZ AIDER !

Nos propres sources de financement s'épuisant, nous avons besoin de votre aide pour soutenir financièrement le projet du Caux Refuge. Nous avons besoin de 20'000 CHF pour assurer l'accueil du groupe jusqu'à fin 2022.

Nous utiliserons ces fonds pour financer l'aide alimentaire et les autres coûts liés au séjour du groupe à la Villa Maria à Caux.

Nous vous remercions pour votre soutien. Merci de faire un don ici et de préciser « Caux Refuge » lors de votre contribution. Si vous avez des propositions et des questions, n'hésitez pas à nous contacter.

 

 

Donate now FR

 

Veuillez noter que les opinions exprimées dans ces articles sont celles des personnes interrogées et ne reflètent pas nécessairement l'opinion de l'interviewer et d'Initiatives et Changement Suisse.

 

 

 

Photo en haut: Anastasia Slyvinska

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