« L’IA ne sauvera pas la démocratie. Les gens oui! »
Un blog d’Ignacio Packer, directeur exécutif de Caux Initiatives of Change
14/10/2025
Stockholm, le 13 octobre 2025
Vendredi dernier, lors de la Semaine de la démocratie de Genève, nous avons coorganisé un débat de type “Oxford” autour de la motion : « Ce panel estime que l’IA sauvera la démocratie. » La discussion a été inspirante, animée — et, au final, lucide. Car la vérité est simple : l’IA ne nous sauvera pas. Croire le contraire n’est pas seulement naïf — c’est dangereux.
Au Caux Palace, notre centre de dialogue et de construction de la confiance situé au-dessus de Montreux, nous accueillons des échanges dans un lieu conçu pour l’écoute. Et c’est là que je vois clairement ce qui peut véritablement protéger la démocratie : des règles solides et applicables, capables de suivre le rythme d’une technologie en constante évolution.
- Des incitations repensées — ce que nous valorisons, promouvons ou sanctionnons — pour mieux aligner intérêts privés et bien commun.
- Un investissement dans les personnes, afin de développer les compétences, les habitudes et le courage nécessaires à une participation responsable.
J’écris ces lignes depuis Stockholm, où s’ouvre cette semaine le Sommet des objectif de développement intérieur (IDG).
Alors que les Objectifs du développement durable (ODD) fixent des cibles pour le monde, les IDG mettent l’accent sur les capacités intérieures nécessaires pour les atteindre : empathie, pensée critique, courage, résilience.
Ces capacités comptent aujourd’hui plus que jamais, car l’IA peut accélérer tout autant les forces que les fragilités de la démocratie.
Les limites de l'IA
L’IA centralise le pouvoir ; la démocratie, elle, le diffuse. L’IA peut amplifier la manipulation, alors que la démocratie repose sur une conviction responsable.
Les algorithmes offrent de la rapidité là où la délibération est nécessaire, et dissimulent des décisions dans des boîtes noires là où la transparence est essentielle. Les réseaux sociaux nous ont déjà donné un avertissement : on nous promettait davantage de connexion, mais le résultat a été une méfiance accrue.
De meilleurs outils ne remplaceront jamais de meilleures personnes.
Les compétences qui soutiennent la démocratie
Depuis des décennies, Initiatives et Changement agit « de l’intérieur vers l’extérieur », en cultivant l’intégrité, l’empathie, le courage et la collaboration concrète. Ces capacités intérieures constituent la base indispensable sur laquelle les règles, les contrôles et la technologie peuvent fonctionner efficacement.
Sans elles, l’IA tend à amplifier nos pires instincts : l’indignation plutôt que la réflexion, la facilité plutôt que la responsabilité, la passivité plutôt que la participation.
- Parmi les compétences que j’essaie de pratiquer personnellement :
- Un esprit d’apprentissage, lorsque les réponses semblent trop évidentes.
- Une pensée critique et systémique, lorsque certains arguments « sonnent juste ».
- L’empathie dans la différence, pour comprendre la diversité des points de vue.
- La co-création, lorsque la complexité dépasse toute expertise individuelle.
- Le courage, pour dire la vérité, même lorsqu’elle dérange ou qu’elle est impopulaire.
L’IA peut aider, mais elle ne peut faire grandir ces forces intérieures.
La démocratie repose sur notre capacité, à nous les humains, à les développer nous-mêmes.
Expérimenter les idées en public
Pendant la Semaine de la démocratie de Genève, nous avons mis ces idées à l’épreuve.
À la Maison de la Paix, aux côtés de la Fondation Kofi Annan, du DCAF, de Polisync et de l’EPFL, nous avons débattu autour de la question : « L’IA : sauveuse ou fossoyeuse de la démocratie ? »
La conclusion a été claire : la technologie seule ne peut pas sauver la démocratie. Ce sont les personnes, les institutions et les communautés qui déterminent si elle la renforce ou l’affaiblit.
Une gouvernance solide de l’IA est essentielle — mais les règles, à elles seules, ne suffisent pas. La démocratie n’est pas un produit à télécharger, c’est une pratique à cultiver — en nous-mêmes, dans nos foyers, au sein des communautés et des institutions.
C’est tout l’esprit du Programme de Caux pour la démocratie (2024–2027) et de ses forums annuels, où diplomates, acteurs et actrices de la société civile, jeunes et artistes s’exercent à l’écoute à travers les différences, au débat honnête et à la responsabilité partagée — des compétences qu’aucun algorithme ne saura reproduire.
Replacer l’humain au centre de l’action
À la Fondation Caux Initiatives et Changement, notre vision est celle d’un monde démocratique où les personnes agissent avec responsabilité et conscience de leur interdépendance. Dans ce monde, l’IA est un outil transparent et responsable, au service de la dignité humaine. Aujourd’hui, l’IA nous éloigne souvent de cette vision. La solution n’est pas de rejeter la technologie, mais de recentrer l’action humaine. Pour cela, il nous faut une régulation de l’IA efficace, des incitations repensées, et — surtout — un investissement dans les personnes.
L’IA ne sauvera pas la démocratie. Les gens, oui. Seuls des citoyens mieux formés, mieux connectés et mieux ancrés pourront défendre les valeurs démocratiques qui nous sont chères. L’humain d’abord. Les outils ensuite. Alors, l’IA pourra enfin devenir ce qu’elle doit être : utile.
La démocratie peut être ce qu’elle doit être : la nôtre !
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Ignacio Packer est directeur exécutif de la Fondation Caux Initiatives et Changement, une fondation privée d’utilité publique suisse dont la mission est d’offrir un espace sûr et privilégié pour inspirer, outiller et connecter des individus, des groupes et des organisations du monde entier, afin de favoriser un engagement efficace et innovant en faveur de la confiance, du leadership éthique, d’un mode de vie durable et de la sécurité humaine. Ignacio possède plus de 30 ans d’expérience dans les domaines humanitaire et du développement. Expert des droits humains et des questions sociales, il s’est fortement engagé dans le plaidoyer international pour la protection des migrant.e.s et des réfugié.e.s, avec une attention particulière portée aux enfants et aux jeunes.