« J’espère inspirer d’autres à se lancer dans leur voie avec courage. »
Entretien avec l'artiste Farah Erfani, Émergences musicales 2024
15/11/2025À l’approche de la troisième édition des Émergences musicales Montreux-Riviera, organisée par Fondation de la Saison Culturelle de Montreux en partenariat avec la Fondation Caux Initiatives et Changement, le Caux Palace - lieu emblématique perché au-dessus de Montreux entre ciel, montagnes et Léman - s’apprête à devenir une nouvelle fois un laboratoire créatif hors norme.
Petite sœur des célèbres « Rencontres d’Astaffort » fondées il y a plus de trente ans par Francis Cabrel dans son village natal du Sud-Ouest de la France, les Émergences musicales et leur résidence artistique perpétuent le même esprit : révéler, accompagner et inspirer de nouveaux talents francophones.
Chaque année, neuf jeunes artistes francophones sont choisi.e.s pour perfectionner écriture, composition et présence scénique aux côtés de professionnel.le.s reconnu.e.s dans un cadre inspirant qui rompt la solitude des débuts d'artiste et encourage la rencontre, notamment à travers des concerts intimistes, mais également à travers des actions de médiation culturelle.
C’est dans cet écrin Belle-Époque que la jeune artiste suisse Farah Erfani a vécu une expérience déterminante en décembre 2024. Guitariste, autrice, compositrice et interprète de 25 ans, elle revient avec nous sur son expérience aux Émergences musicales 2024 et son parcours d'artiste, entre héritage familial, quête d’authenticité et lien inattendu avec le Caux Palace.
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Farah, parle-nous de ton parcours musical et comment il a façonné ton identité artistique.
Farah : J’ai commencé à jouer la guitare classique à 10 ans et je l’ai étudiée à Lucerne, même si je touche aussi à la guitare électrique et à la guitare baroque. À 14 ans, j’ai écrit mes premières chansons en anglais, mais ce n’est qu’à 22 ans que j’ai commencé à écrire en français, d’abord pour passer le temps dans le train quand je ne pouvais pas travailler mon instrument. À vrai dire, je ne prenais pas ça vraiment au sérieux, mais j’ai vite remarqué que ces chansons plaisaient et interpellaient.
Il y a deux ans, j’ai pris une année de pause au début de mon master car je voulais travailler et modifier ma technique à la guitare. En parallèle, j’ai pensé que ce serait amusant d’approfondir mon écriture de chansons. De fil en aiguille, sans que je m’en rende vraiment compte, j’ai glissé vers une professionnalisation dans cette voie. Début 2024, après une rupture, j’ai décidé de préparer mon premier concert de chanson solo, « Gainsbourg et moi », et je me suis lancée dans la composition et l’arrangement de chansons de Serge.
Ta famille entretient un lien profond avec Caux. Peux-tu nous en parler ?
Farah : Oui, et c’est une histoire assez folle qui débute avant la Seconde Guerre mondiale et traverse deux générations. Tout commence en Angleterre, avec ma grand-mère et son premier mari, John Howard, frère de Peter Howard, figure du mouvement Initiatives et Changement dans les années 60. Quand John meurt pendant la guerre aux Pays-Bas, une famille hollandaise qui l’avait hébergé écrit à ma grand-mère. Elle décide de se rendre aux Pays-Bas et rencontre le fils aîné de cette famille… qui deviendra mon grand-père et, comme on dit en anglais, « the rest is history ». Un détail encore plus incroyable : mon grand-père est né exactement le même jour que John Howard.
Des décennies plus tard, ma mère découvre un livre sur Peter Howard. Fascinée, elle contacte Initiatives et Changement à Londres, puis est invitée à une conférence à Caux. C’est là qu’elle rencontre mon père et leur histoire d'amour a commencé sur les marches devant salle de spectacle de Caux. Ils se marient en 1985. Caux fait donc partie de mon histoire avant même ma naissance.
Quel effet cela t’a-t-il fait de venir au Caux Palace avec cette histoire familiale, mais également en tant qu’artiste ?
Farah : Il y avait une certaine magie à découvrir le lieu où se sont rencontrés mes parents. C’était un peu mythique, car j’avais entendu parler de Caux depuis ma plus jeune enfance sans n’y avoir jamais été. J’ai retracé leur rencontre en voyant les bancs, les couloirs et les chambres du Palace.
En tant qu’artiste, j’ai eu envie de rendre hommage à leur histoire ; c’est pourquoi je suis en train d’écrire une chanson qui relate leur rencontre, mais elle est encore en chantier.
Caux, c’est là où mes parents se sont rencontrés. Avec mon séjour à Caux, je marchais dans leur histoire.
En 2024, tu a été choisie en tant que jeune artiste francophone émergente pour venir à Caux. Quels moments des Émergences musicales 2024 t’ont le plus marquée ?
Farah : C’est dur de choisir, parce qu’il y en a tellement mais le moment le plus fort a été de chanter la chanson « Les maisons » en lead, devant 400 personnes, sans guitare, accompagnée d’un band. En temps normal, je m’accompagne moi-même Grâce à cette expérience, j’ai découvert que j’adorais le fait de seulement chanter — et que, visiblement, le public aussi.
En quoi la résidence a-t-elle façonné ton écriture ou ta vision de ta carrière ?
Farah : J’ai l’impression que cette résidence m’a permis de comprendre quel était mon style, car j’ai dû confronter mon univers artistique à d’autres, ce qui m’a permis de mettre mon travail en perspective.
Et au niveau de ma « carrière », le fait de rencontrer et d’échanger avec d’autres personnes qui veulent la même chose m’a fait comprendre où j’étais et quels étaient les chemins possibles.
Est-ce qu'il y un projet particulier qui est né ou a été transformé à Caux ?
Farah : Oui, la chanson « Les maisons » m’a humainement marquée. J’ai aussi fait une rencontre importante : Samir Flynn. Nous venons de mondes très différents, lui du rap, moi du classique, mais « Les maisons » nous a réunis. Cette chanson aborde justement le thème des bousculements, des rencontres et des adieux dans la vie.
Cette résidence m’a permis de comprendre quel était mon style, car j’ai dû confronter mon univers artistique à d’autres, ce qui m’a permis de mettre mon travail en perspective.
Si on parle de ta vision en tant qu'artiste, quelles sont les valeurs qui guident ta musique et comment se traduisent-elles dans tes compositions ou performances ?
Farah : Je pense que, fondamentalement, je suis insatisfaite du présent, au niveau personnel comme sociétal. À la recherche d’un remède à cette vacuité, je me tourne vers le passé et les futurs possibles. Peut-être suis-je chroniquement insatisfaite de moi-même et de ce qui m’entoure — mais pas par négativité, plutôt par élan d’idéalisme. Donc mes chansons sont souvent teintées d’une nostalgie d’une époque que je n’ai pas connue. Je cherche des repères, une direction, des espoirs… Et, au milieu de tout ça, il y a l’amour qui débarque à l’improviste.
Tu viens d’une famille multiculturelle. De quelle manière ces racines ont-elles influencé ta musique et ta vision du monde ?
Farah : J’ai parfois l’impression de venir de partout et de nulle part. Ma mère est anglaise, mon père iranien, et j’ai grandi près de Lausanne avant d’aller m’installer en Suisse alémanique à 19 ans.
Toute cette panoplie de cultures et de langues m’a permis de me rendre compte que nos façons d’aborder le monde ne sont pas absolues. À contrario, si l’on reste toujours dans une même bulle, on finit souvent par manquer d’ouverture d’esprit. La même chose s’applique à la musique ! Les influences de différents styles, dans mon cas, le classique, la chanson, le rock, se complètent et se reflètent. Et c’est peut-être justement en enchaînant les contrastes que l’on aboutit à la découverte de soi.
Pour toi, l’art et la musique peuvent-ils contribuer au changement social ou culturel ?
Farah : Oui, tout à fait, car l’art reflète les énergies et les idées ambiantes. Quand on écrit des chansons, on met des mots sur du ressenti.
Cependant, je pense que certaines choses sont plus engagées que d’autres. Pour ma part, j’écris très souvent sans me poser de questions et sans planifier ce dont ma chanson va parler : je travaille, pour ainsi dire, « à l’inspiration ».
J’ai fait une exception pour « Déconnexion », une chanson qui exprime mon malaise par rapport à un monde sans liens, car c’est un sujet qui m’occupe et me préoccupe. C’est un processus d’écriture très différent, mais tout aussi enrichissant, car il faut trouver l’inspiration du moment pour l’idée plutôt que l’idée du moment pour l’inspiration.
Je suis convaincue que l’art peut changer quelque chose — quelle que soit sa source d’inspiration.
Que souhaites-tu transmettre à ton public ?
Farah : J’espère leur offrir un moment suspendu qui leur parle et leur ressemble. J’espère tendre une main empathique à leurs doutes et peurs, qu’ils soient personnels ou sociétaux, et, tout en douceur, leur montrer ma vulnérabilité pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls, et qu’en réalité, nous sommes liés par ce sentiment de solitude.
Finalement, j’espère inspirer d’autres à se lancer dans leur voie avec courage. Cela m’évoque une phrase de Giacometti : « Je pense que la meilleure façon pour un artiste d’être révolutionnaire, c’est de faire son travail le mieux possible. »
J’espère inspirer d’autres à se lancer dans leur voie avec courage.
Parlons avenir...quels sont tes projets en tant qu'artiste et comment des lieux comme Caux ou des événements comme les Émergences musicales pourraient-ils y contribuer ?
Farah : Je suis en discussion avec un label en ce moment, et travailler avec eux m’offrirait un bel encadrement ainsi que différentes opportunités professionnelles. Il y a quelques semaines, j’ai créé mon band et j’ai vraiment hâte de jouer avec eux !
Nous faisons une résidence d’une semaine en Toscane au printemps pour préparer les arrangements de mes chansons. Ensuite, l’idée est bien sûr d’aller en studio pour enregistrer un premier disque. On me demande souvent pourquoi je ne suis pas encore sur les plateformes de streaming : en fait, je veux faire les choses bien, donc je me prépare et je prends le temps nécessaire.
Caux a une énergie tout à fait magique et j’adorerais y retourner pour un projet musical si l’occasion se présente ! Quant aux Émergences, je suis très reconnaissante de faire partie de cette famille ; pouvoir y contribuer serait un honneur.
Après l'expérience des Émergences musicales, quel conseil donnerais-tu aux jeunes artistes ?
Farah : Oser. Avoir du culot. On ne perd souvent pas grande chose à essayer, et il faut éviter de prendre les refus personnellement. Envoyer des messages à des gens qu’on ne connaît pas pour collaborer, organiser des concerts ou des résidences soi-même (ce que j’ai fait l’été passé), s’inscrire à plein de tremplins… Bref, créer du lien avec le public et d’autres artistes. C’est ça qui permet d’avancer, de trouver, et même de créer, des opportunités !
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Le saviez-vous ? Le Caux Palace ouvre ses portes aux artistes et aux organisations culturelles pour des résidences créatives, selon disponibilités. Avec sa situation géographique exceptionnelle, il est l’endroit idéal pour stimuler la créativité et se ressourcer loin du tumulte quotidien.
















